les Ehpad en pleine crise éthique

 

 

Fin de vie, contention: les Ehpad en pleine crise éthique

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L’administration des soins en Ehpad ainsi que les règles régissant la contention sont revues dans l’urgence, provoquant l’indignation de certains soignants. Selon les chiffres encore partiels du gouvernement, 884 décès « rattachés au Covid » sont à déplorer depuis le 1er mars dans ces établissements.

 

 

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«C’est violent », lâche Carine*. Cette infirmière décrivait la semaine passée, dans Mediapart, l’organisation mise en place pour accueillir les résidents Covid-19 de son Ehpad des Hauts-de-Seine. Une semaine plus tard, elle se retrouve en première ligne face à l’épidémie.

Déjà trois décès dans l’établissement, et encore onze autres patients testés positifs au virus. « Il se propage à une vitesse incroyable, témoigne Carine. J’étais de repos le week-end dernier et, lundi, j’avais l’impression qu’ils avaient tous perdu 10 kilos, à voir leur visage meurtris. Quand je pars, je crains de ne pas les retrouver vivants. » Aucun transfert possible dans les hôpitaux du secteur, « tous surbookés ».

L’infirmière décrit aussi ces décès brutaux, en quelques heures seulement : « Nous n’étions pas du tout préparés à cela. Une résidente avait quelques symptômes, des maux de ventre, une petite toux. Elle est morte en deux heures. Ça va vite, très vite. »

Alors que le gouvernement commence seulement à réagir, à recenser et à dérouter une partie des moyens vers les quelque 11 000 établissements collectifs d’accueil des personnes âgées, la réalité du terrain semble quasiment inchangée. Carine, par exemple, était seule hier pour la surveillance infirmière de 37 résidents, dont 11 Covid-19, malgré la mobilisation de la réserve sanitaire dans son établissement.

Impossible dans ces conditions d’être au plus près des patients. « Hier, nous n’avions plus de blouses en papier pour rentrer dans les chambres. On a réussi à trouver des blouses de bloc auprès d’un hôpital. Ça ira pour une semaine, et après ?, s’interroge Carine. Même les cartons spéciaux pour jeter nos déchets médicaux contaminés commencent à manquer. Pour les médicaments, ça va, pour le moment, on gère. »

Stéphanie Lévêque, médecin coordonnatrice dans trois Ehpad de Haute-Garonne, ne peut pas en dire autant, elle qui craignait déjà la semaine dernière de ne pas avoir de quoi assurer des soins palliatifs décents. « Dans un de mes Ehpad, il n’y aura bientôt plus de Valium ni de scopolamine, le médicament indiqué pour les encombrements de type bronchite. Nous allons manquer aussi de sédatifs. Je suis en train de constituer un stock à partager entre mes trois établissements pour parer au plus pressé. »

Ce médecin s’inquiète aussi de la lenteur des procédures administratives et réclame depuis trois semaines que soit appliquée la possibilité pour les professionnels en ville de se fournir en midazolam auprès des pharmacies hospitalières. Cette injection, utilisée dans le cadre de la loi Leonetti-Claeys, permet une sédation profonde pour deux indications particulières, les hémorragies massives et la détresse respiratoire aiguë.

L’obstacle est double : si les autorités de santé ont conscience qu’il faut en laisser l’accès aux praticiens des Ehpad, pour leurs patients qui ne seront pas transférés à l’hôpital faute de places, les arbitrages se font attendre au ministère de la santé afin d’éditer l’arrêté officiel. « J’espère que le temps administratif ne causera pas de mort douloureuse par des asphyxies non soulagées », souligne Stéphanie Lévêque. Par ailleurs, le midazolam faisant partie des médicaments prioritaires pour les patients ayant contracté le Covid-19 et hospitalisés en réanimation, sa « rétrocession » en ville est limitée (voir cet article sur les pénuries naissantes à l’hôpital).

 

franceinfo

 

 

 

? "Il n'y aucune demande de limitation de recours de la morphine auprès de qui que ce soit" : Olivier Véran, le ministre de la Santé, répond à la députée LFI Mathilde Panot en séance à l'Assemblée nationale

 

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Olivier Véran répond aux questions de l'opposition sur la pénurie de médicaments. © franceinfo

 

Selon un rapport d’une agence régionale de santé (ARS) que Mediapart a pu consulter, une « tension sur le midazolam » est effectivement relevée. Il est également indiqué qu’une « prise en charge médicale alternative afin de permettre des soins palliatif en Ehpad » est en cours de rédaction.

Des médecins et directeurs d’établissements commencent effectivement à recevoir des consignes, en provenance des ARS ou de services de soins palliatifs hospitaliers, parfois relayées par les ordres locaux et les sociétés savantes, ce que confirme le ministère de la santé interrogé par Mediapart. Il s’agit d’adapter les procédures classiques de prise en charge médicale, en cas de détresse respiratoire aiguë sans possibilité de transfert vers l’hôpital, déjà saturé ou sur le point de l’être.

Dans l’un de ces documents, que Mediapart a pu consulter, en date du 20 mars 2020, il est écrit que ces « propositions diffèrent des récentes recommandations en ce qui concerne les doses et modalités de surveillance », avant qu’il ne soit précisé que ces conseils ont été rédigés avant tout pour soulager les patients dans une « période exceptionnelle ».

« L’intention des démarches thérapeutiques proposées est d’assurer le confort de patients confrontés à un état asphyxique dont on sait que l’évolution sera rapidement défavorable, poursuit le document, et dans un contexte où « les réévaluations régulières habituellement pratiquées par les équipes soignantes ne pourront pas être assurées. » Avant de préciser : « Il ne s’agit pas de démarches visant à précipiter le décès des patients mais bien de leur assurer un apaisement. »

Ces mises en garde ne rassurent guère Nathalie*, infirmière dans une maison d’accueil spécialisée (MAS) d’un hôpital psychiatrique de l’est de la France. Les MAS sont des unités où des patients de longue date, atteints de maladie mentale et le plus souvent très dépendants, finissent en général leur vie. Dans son unité, où la moyenne d’âge avoisine les 75 ans, il y a déjà dix résidents suspectés Covid-19.

« Oui, il faut les soulager, mais à quel prix ? », s’inquiète Nathalie. Ici aussi, le personnel médical a reçu des fiches indiquant les différents protocoles à suivre en cas d’aggravation de la maladie et de non-hospitalisation, et que Mediapart a pu consulter. « On nous demande de mettre nos patients sous sédation, mais sans respirateur comme à l’hôpitalon va au décès !, s’alarme l’infirmière. On nous dit de gérer, de prendre soin d’eux, mais avec juste un peu d’oxygène et de morphine, comment fait-on ? »

La détresse de cette infirmière est immense : « J’espère que je n’aurai pas à faire le geste fatal. La question de la culpabilité va être énorme. Si on décide d’éteindre un patient en détresse respiratoire, si la famille le sait et porte plainte, est-ce que la direction nous soutiendra puisque rien n’est écrit noir sur blanc ? »

 

 

La crise sanitaire suscitée par le Covid-19 engendre d’autres impasses éthiques. Depuis l’apparition des premiers cas et décès dans les Ehpad, le confinement des résidents dans leur chambre s’est généralisé. Mais une partie des personnes âgées, et notamment celles, nombreuses, souffrant de troubles cognitifs de type Alzheimer, ont bien du mal à respecter cette règle. Elles peuvent, dans la minute, oublier ce que vient de dire l’aide-soignante, sortir de leur chambre pour déambuler dans les couloirs.

 

 



06/04/2020
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