Riches ou pauvres, qui va payer?

 

Toujours plus pour les plus fortunés:

les nouvelles faveurs que prépare le gouvernement des riches

 

Paru dans l’Humanité, Vendredi 5 Mars 2021

Aider ceux qui en ont le moins besoin pour relancer l’activité.

Après les milliards versés sans condition aux entreprises, le ministre de l’Économie relance la théorie fumeuse du ruissellement et annonce de nouvelles incitations et ristournes en faveur des plus aisés.

Ça ne ruisselle toujours pas. Malgré quatre années du quinquennat consacrées à faire gonfler le patrimoine des riches – fin de l’ISF, flat tax,… – pour qu’il se déverse en consommation et en investissements dans les entreprises, le flux de ces liquidités reste bouché en haut. Depuis le premier confinement, les 10 % des Français les plus riches ont amassé plus de 100 milliards d’euros d’épargne. Bruno Le Maire n’en démord pas. En cheville ouvrière de l’idéologie du ruissellement, le ministre de l’Économie pense à relancer l’économie française en offrant de nouveaux cadeaux à ceux… qui en ont le moins besoin. À charge pour ces derniers de sortir leurs magots. Pour cela, il redouble de largesses. Le régime fiscal de l’assurance-vie (30 % du patrimoine des 0,1 % les plus aisés de France) est déjà bien avantageux. L’hôte de Bercy a annoncé ce jeudi la labellisation de 150 fonds dédiés aux « prêts participatifs ». Il s’agit, pour ceux qui en ont les moyens, de prêter de l’argent à des entreprises à taux d’intérêt de 5 à 6 %. Une aubaine, quand les assurances-vie atteignent péniblement 1,5 % de rendement. D’autant que le dispositif est garanti à 30 % par l’État. Une baisse des impôts sur les donations et transmissions entre les générations, supérieures à 100 000 euros, est dans les tuyaux. Enfin mardi, Bercy annonçait « une souplesse pour le paiement de l’impôt sur les sociétés », que seules paient les entreprises bénéficiaires.

« Ce n’est pas un plan de relance, mais un plan de défiscalisation »

Ces mesures se placent dans la droite ligne de celles du plan de relance, qui a ouvert un nouvel acte de cadeaux et baisses d’impôts aux entreprises, sans contreparties. « Ce n’est pas un plan de relance, mais un plan de défiscalisation, corrige l’économiste Maxime Combes, puisque seuls 0,8 % des fonds iront aux plus modestes et que 20 % sont des cadeaux fiscaux. Le seul fil conducteur de ce quinquennat demeure la baisse des impôts des plus riches, du capital et des entreprises », poursuit le coauteur du rapport « Les corona-profiteurs du CAC 40 », avec l’Observatoire des multinationales.

« C’est dans ces moments de crise qu’il faut profiter de l’argent de l’État. Croyez-moi, ce n’est pas tous les jours que vous entendrez un ministre de l’Économie vous dire : vous avez besoin d’argent, je vous en donne », lançait sous les applaudissements nourris Bruno Le Maire, en octobre dernier, devant un parterre de patrons. Il n’a pas trahi sa parole. À la tendance longue – les aides publiques aux entreprises augmentent de 5 à 6 % par an depuis quinze ans pour atteindre 150 milliards d’euros avant la pandémie – s’ajoutent les aides sectorielles, le chômage partiel, les 100 milliards du plan de relance, les 10 milliards de baisses d’impôts de production, ou encore les prêts garantis par l’État. Seuls ces derniers sont soumis à une condition : ne pas détenir de filiale dans un paradis fiscal. Mais la liste française de ces pays n’a rien de dissuasive, puisqu’elle ne reconnaît comme tels ni le Luxembourg, ni les Pays-Bas, Malte… Les sociétés bénéficiaires peuvent profiter en toute quiétude de cette manne d’argent public : depuis le rapport qui a démontré l’inefficacité globale du C ice, plus aucune étude d’impact officielle concernant ces aides n’a été commandée.

Le pognon de dingue qui coule sur les premiers de cordée provient d’une autre source. « En 2020, en pleine crise, les deux tiers des entreprises du CAC 40 ont versé des dividendes, huit ont même augmenté les versements à leurs actionnaires par rapport à 2019. On se dirige vers une saison 2 de dividendes encore plus faste et les plans de suppression de postes vont continuer », prédit Maxime Combes. Pour lui donner raison, Carrefour vient de publier des résultats record. « Les meilleurs depuis vingt ans », s’est réjoui le PDG Alexandre Bompard, qui annoncera prochainement à quel point il chérira ses actionnaires. De son côté, SFR a officialisé la suppression de 1 700 postes, mercredi, au lendemain de l’annonce des 4,2 milliards de bénéfices avant impôts réalisés en 2020, tandis qu’une enquête pour fraude au chômage partiel pèse sur le groupe et que la fortune personnelle du PDG, Patrick Drahi, a doublé entre mars et décembre 2020. « Alors que l’hôpital est à l’agonie, l’argent public sert à rémunérer les actionnaires et à payer des PSE », déplore l’économiste Maxime Combes.

La fortune de Bernard Arnault a doublé pendant la crise

« Ces aides publiques aux plus riches ont fait augmenter la dette et celle-ci commence à être instrumentalisée », alerte de son côté Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac. Mardi encore, au Sénat, le ministre de l’Économie assurait : « La France remboursera sa dette publique », et il excluait « toute augmentation d’impôt ». Bercy évalue la dette liée au Covid à environ 215 milliards d’euros. Pour la résorber, une nouvelle commission présidée par l’économiste très orthodoxe Jean Arthuis est chargée de plancher sur de nouvelles réformes dites structurelles… « Le gouvernement réalise des centaines de millions d’euros d’économies sur le dos des allocataires des APL et 1,3 milliard sur celui des chômeurs avec la réforme de l’assurance-chômage. La fortune de Bernard Arnault a doublé pendant la crise quand un tiers des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté. Ce gouvernement prend aux pauvres pour donner aux riches », résume le militant associatif.

Face à l’explosion des inégalités, même un patron comme Louis Gallois demandait le mois dernier une taxe exceptionnelle sur les plus fortunés. Pour Maxime Combes, une telle mesure risque de laisser entendre que seuls ces derniers mois de crise expliquent les inégalités de richesse. « Imposons des conditions sociales et écologiques aux aides publiques et rétablissons une vraie progressivité de la fiscalité. Après, pourquoi pas, taxons ceux qui se sont engraissés pendant la pandémie », tranche l’économiste. Raphaël Pradeau se souvient : « Rappelons-nous le principal message des gilets jaunes : rendez l’ISF d’abord. »

Pierric Marissal

 



07/03/2021
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