Ce jeudi 18 mai, L’Humanité m’a demandé une tribune pour ses pages « Débats et Controverses », sur le thème : « Le ‘’progressisme’’ d’Emmanuel Macron est-il synonyme de progrès social ? » Je la reproduis ci-dessous. Pour amorcer la réflexion qu’il va nous falloir mener pour faire face à une recomposition politique confrontant la gauche à des défis aussi inédits en France que redoutables par les confusions qu’elle génère.
« Et si M. Macron, dont l’aventure personnelle fascine tant les commentateurs, n’était au fond, banalement, que la dernière des incarnations de cette contre-révolution libérale sous laquelle nous vivons depuis quelques décennies ?
« Cette contre-révolution, se déployant à l’échelle de la planète entière, vise à accoucher d’un capitalisme "pur", libéré de toute entrave, reposant sur des marchés financiers dérégulés, basé sur le prélèvement actionnarial forcené des richesses produites. Il en aura principalement résulté, sous l’effet de la réorganisation globalisée de l’outil productif, de la déréglementation du "marché du travail", de la pression exercée à la baisse sur les salaires et de la destruction systématisée des mécanismes de protection sociale, une crise sociale phénoménale, une crise écologique questionnant l’avenir même de l’humanité, une crise de la démocratie engendrée par la toute-puissance conquise par les marchés.
« L’habileté de ses concepteurs aura été de se lancer à l’assaut des consciences. Ils auront su brouiller tous les repères, dévoyer les valeurs héritées des combats pour la République et le socialisme, retourner les concepts qui donnaient sens à l’existence de millions d’hommes et de femmes. Ils y auront été grandement aidé par cette fraction de la gauche qui se sera ralliée au pouvoir absolu de l’aristocratie de l’argent, en théorisant que le nouveau capitalisme avait gagné la partie. Ainsi l’avidité des actionnaires aura-t-elle été parée des vertus de la "modernité", l’action des mouvements sociaux stigmatisée comme un "archaïsme", la liquidation des conquêtes du passé exaltée comme la marque d’un nouveau "progressisme".
« Vainqueur à la faveur des circonstances exceptionnelles que l’on sait, et profitant des dégâts d’un quinquennat calamiteux, le marquis du Touquet aura eu l’appui massif de l’oligarchie financière et de la technostructure, dont les représentants peuplent son entourage. Profitant de la décomposition de l’ordre politique en vigueur, il entend à présent stabiliser un mode de gouvernement lui conférant tous les pouvoirs, cette fameuse conception "jupitérienne" qui l’aura amené à se doter d’un parti totalement à sa main et à vouloir désormais que tout procède de l’Élysée. Un césarisme d’un nouveau genre est en train de voir le jour. Pour finir de plier la France aux normes de la globalisation marchande et financière, ubériser l’économie, siphonner davantage la richesse au bénéfice du capital, casser les protections collectives du monde du travail.
« Ce prétendu "progressisme" ne tardera pas à se révéler pour ce qu’il est vraiment : une entreprise de régression sur tous les plans. Le grand vent de libéralisation annoncée ne fera, comme cela s’est produit partout où de semblables recettes auront été appliquées, qu’enfoncer un peu plus notre pays dans la stagnation, la désindustrialisation, la précarisation de millions de vie. D’autant que sa financiarisation place en permanence l’économie mondiale sous la menace de krachs à répétition.
« Une impitoyable lutte des classes se dessine. Le clivage droite-gauche, que d'aucuns tiennent pour obsolète, retrouvera dès lors très vite sa pertinence. La nomination du nouveau Premier ministre ne laisse d'ailleurs aucun doute sur la volonté de l'exécutif de gouverner à droite.
« Sauf à prendre le risque que ce désastre prévisible ne gonfle de nouveau les voiles de l’extrême droite, c’est à la reconstruction d’une gauche de combat qu’il va falloir s’atteler. Dans l’unité de toutes les forces qui s’y montreront disposées. Quel qu’ait été leur choix entre les deux candidats en compétition pour la présidentielle… »