Migrants: France pays fraternel et solidaire...
Que la France montre qu’elle demeure un grand pays fraternel et solidaire
Conseil européen des 17 et 18 mars -
Par Eric Bocquet / 15 mars 2016
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, c’est dans un contexte des plus difficiles que s’est tenu le 7 mars dernier un sommet entre l’Union européenne et la Turquie qui a abouti à un accord laissant bien des questions en suspens.
La Turquie a confirmé qu’elle était résolue à mettre en œuvre l’accord bilatéral de réadmission gréco-turc en vue d’accepter le retour rapide de tous les migrants qui partent de la Turquie pour gagner la Grèce et qui n’auraient pas besoin d’une protection internationale, et de reprendre tous les migrants en situation irrégulière qui seraient appréhendés dans les eaux territoriales turques.
En contrepartie, l’Union européenne s’est engagée à faciliter l’obtention par les citoyens turcs de visas provenant de tous ses États membres, à accélérer le versement des trois milliards d’euros déjà promis, à compléter son aide de trois milliards d’euros supplémentaires et à favoriser la reprise des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
De son côté, en plus de reprendre les réfugiés expulsés d’Europe, la Turquie s’engagerait, selon le principe du « un pour un », à n’organiser le passage de Syriens vers la Grèce qu’en respectant des mesures de contrôle et de sécurité, dans lesquelles l’OTAN jouerait un rôle.
À l’avenir, même si l’accord ne l’indique pas, les autres réfugiés non admis en Europe, qu’ils soient d’Afghanistan, d’Érythrée, du Soudan ou d’Irak, seraient rapatriés en direction de leurs pays d’origine.
Ainsi, l’Union européenne et les États membres abandonnent à la Turquie la responsabilité d’assurer le contrôle de leurs propres frontières et de gérer l’accueil des réfugiés qui vont être chassés de Grèce.
Les centaines de milliers de migrants arrivés en 2015 sur le sol européen ne représentent pourtant que quelques dixièmes de pourcent de la population globale de l’Union.
Certains défenseurs d’une Europe forteresse feignent de faire face à une crise migratoire sans précédent. Pourtant, les chiffres montrent bien tout autre chose. À ce jour, il y a autant de demandeurs d’asile par habitant de l’Union européenne qu’il y en avait au début des années 1990. En outre, le nombre de personnes dans le monde sous mandat de protection du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés est le même qu’en 1995.
La crise des migrants est mondiale : tous les continents sont touchés, d’autant que, pour l’essentiel, pour 80 % d’entre eux plus précisément, ces mouvements migratoires restent cantonnés du Sud vers le Sud. Des solutions mondiales doivent donc également être mises en œuvre, même s’il n’est question ici que de l’Union européenne.
En signant cet accord, les dirigeants européens ont-ils bien mesuré les conséquences des décisions qu’ils prenaient et de l’image qu’ils ont donnée de l’Europe, en recourant à une forme de marchandage autour de la détresse des réfugiés avec un pays qui bafoue trop souvent les valeurs démocratiques que l’Union européenne est censée représenter ?
Nous pensons que l’Union européenne a pourtant les moyens de répondre à ses devoirs d’accueil et d’asile. Ainsi, avec la participation des États membres qui ont donné leur accord, elle pourrait accélérer l’installation des 160 000 réfugiés, respectant en cela l’engagement qu’elle a pris en octobre dernier. Aujourd’hui, très peu de réfugiés ont pu s’établir. On a également pris l’engagement d’aider financièrement les collectivités accueillant des réfugiés. Au lieu de jouer la stigmatisation, la division entre réfugiés et migrants, la France doit évidemment leur tendre la main et faire la preuve qu’elle reste toujours ce grand pays de fraternité et de solidarité.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle sera la position de la France sur ce dossier ? La France doit exiger le rejet de cet accord et accueillir enfin dignement ces hommes, ces femmes et ces enfants abandonnés à leur sort, même si certains efforts et progrès ont déjà été accomplis.
De plus, tout comme de nombreuses associations, nous souhaitons attirer l’attention sur la problématique du rapprochement familial. L’enjeu est particulièrement manifeste à Calais. Il est plus qu’urgent de mettre en œuvre des mesures efficaces pour que les personnes ayant des liens familiaux au Royaume-Uni soient identifiées rapidement et transférées vers ce pays. Il est également indispensable de garantir que le rapprochement familial ne soit pas restreint en raison d’exigences administratives trop lourdes, notamment en ce qui concerne les pièces justificatives à fournir.
Même si tout cela a été abordé lors du sommet franco-britannique, nous rappelons l’urgence de ce rapprochement familial, surtout pour les mineurs. On doit évaluer les demandes en la matière au regard de la convention relative aux droits de l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer tout au long de la procédure, ce qui est hélas loin d’être le cas actuellement.
Plus globalement, l’Union européenne et les États membres ont également une part de responsabilité dans les tragédies qui frappent aujourd’hui les peuples du Proche-Orient, les poussant sur les routes de l’exil. Comme l’a rappelé notre collègue Jean-Claude Requier, le conflit en Syrie entre dans sa cinquième année. L’Union européenne doit peser de tout son poids pour que le projet de transition politique soit mis en place le plus rapidement possible, afin que l’on arrive à un cessez-le-feu durable et à l’arrêt des hostilités dans les luttes intersyriennes.
L’Union européenne s’est trop souvent alignée sur les positions de certains États du Golfe, comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, ou encore sur la Turquie, encouragée dans cette voie par la France qui a multiplié en certaines occasions les surenchères politiques et militaires. Il est désormais temps qu’elle apporte un soutien sans équivoque à la mise en œuvre la plus rapide possible de la feuille de route fixée par le Conseil de sécurité de l’ONU.